Mercredi 15 juillet : L’Eglise
Vis le jour d’aujourd’hui Auteur : Sœur Odette Prévost |
Vis le jour d’aujourd’hui, Dieu te le donne, il est à toi. Vis le en Lui. Le jour de demain est à Dieu Il ne t’appartient pas. Ne porte pas sur demain le souci d’aujourd’hui. Demain est à Dieu, remets le lui. Le moment présent est une frêle passerelle. Si tu le charges des regrets d’hier, de l’inquiétude de demain, la passerelle cède et tu perds pied. Le passé ? Dieu le pardonne. L’avenir ? Dieu le donne. Vis le jour d’aujourd’hui en communion avec Lui. Et s’il y a lieu de t’inquiéter pour un être aimé, regarde-le dans la lumière du Christ ressuscité. Soeur Odette Prévost petite soeur de Charles de Foucault assassinée en Algérie le 10 novembre 1995 |
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Les encouragements que les bienheureux martyrs d’Algérie donnent à notre Eglise
Dans la préface des saints, nous rendons grâce à Dieu en lui disant ceci : Par l’exemple que les saints nous ont donné, tu nous encourages, par leur enseignement, tu nous éclaires et à leurs prières, tu veilles sur nous
Demandons-nous dès lors ceci : Par quels exemples les bienheureux martyrs d’Algérie encouragent-ils notre Eglise ? Par quels enseignements, éclairent-ils notre Eglise ? Et comme nous croyons qu’à leurs prières, ils veillent sur nous, sur notre Eglise, demandons-leur de prier pour nous.
Lors de la veillée spirituelle qui s’est tenue en la cathédrale d’Oran, la veille de la béatification des martyrs d’Algérie, la sœur de Pierre Claverie, Anne-Marie Gustavson a dit ceci de très beau :
Pour moi cette béatification constitue moins une reconnaissance de certaines vertus attribuées à Pierre mais il s’agit surtout d’une reconnaissance de la valeur de l’Eglise d’Algérie comme exemple pour l’Eglise universelle, avec son idéal de présence, son souci de la rencontre et son témoignage d’un amour désintéressé tel que l’entendaient Pierre et ses compagnons.
- Les Bienheureux martyrs d’Algérie encouragent notre Eglise à réinventer une manière d’être présent
Rappelons-nous qu’au moment de l’indépendance de l’Algérie en 1962, l’Eglise d’Algérie vit un bouleversement : les églises se retrouvent vides presque du jour au lendemain. Beaucoup des congrégations qui étaient présentes en Algérie se sont vues privées de leur œuvre d’éducation, de santé, et ont donc dû réinventer une manière d’être présent dans la population algérienne.
Pierre Claverie est présent en Algérie et vit cette période de grands changements. Il est très proche de Mgr Teissier qui est à ce moment-là évêque d’Oran. Avec Mgr Teissier et d’autres, Pierre Claverie va faire son travail de théologien c’est-à-dire accompagner une Eglise qui doit trouver le sens de sa présence dans un peuple qui est majoritairement musulman.
C’est ainsi que Pierre Claverie est entré de pleins pieds dans le projet de l’Eglise d’Algérie avec l’intuition du Cardinal Duval que l’Eglise devait rester en Algérie et qu’elle devait devenir une Eglise pour les Algériens et aussi avec cette intuition du Concile Vatican II d’être une Eglise qui fait signe dans une société, dans la société.
Et là où Pierre Claverie va être créatif c’est qu’évidemment les églises étaient vides, les presbytères, on en avait plus besoin et alors Pierre Claverie a dit : « Mais c’est magnifique on peut en faire des plateformes de services et de rencontres ». C’était sa formule des plateformes de services et de rencontres c’est-à-dire qu’au lieu de pleurnicher sur le fait qu’on est plus très nombreux, on retourne l’affaire et on essaie d’en tirer un parti positif. C’est ainsi que beaucoup de locaux d’églises, parfois même d’églises désacralisées, vont être mis à la disposition d’œuvres sociales et éducatives dans lesquelles des chrétiens et des musulmans travailleront ensemble.
Depuis l’indépendance, l’Eglise d’Algérie a donc fait cette option d’être une Eglise de la rencontre, une Eglise de l’amitié, une Eglise présente au peuple algérien, tournée vers le peuple algérien, s’intéressant à sa culture, à sa religion, à sa langue. Une Eglise qui tente de se mettre au service de ce peuple, dans les écoles, les dispensaires, mais aussi dans tous les lieux où une vie professionnelle était possible. Une Eglise qui a tourné la page et qui croit avec enthousiasme, et sans doute avec une certaine naïveté, au développement possible et rapide de ce pays meurtri par des décennies de colonisations et de guerre.
Au sortir de la guerre d’indépendance, il y avait en effet beaucoup à faire pour construire ou reconstruire ce pays : éducation, santé, œuvres sociales diverses, vont constituer autant de champs où les chrétiens vont collaborer avec les Algériens musulmans.
Le père Bernard Janicot, qui a travaillé longtemps avec Pierre Claverie à l’extension des bibliothèques de l’Eglise raconte ceci :
« Pierre Claverie voulait absolument que jamais l’Eglise ne soit enfermée sur elle-même mais qu’elle soit le plus possible ouverture sur le monde algérien. Et comme la participation à la vie publique algérienne était plus difficile, avoir un travail professionnel devenait plus compliqué, participer à la vie des associations était possible mais moins facile qu’avant, donc Pierre Claverie s’est dit il faut que l’Eglise ait ses lieux à elle dans lesquels on pourra faire se rencontrer des gens différents et que dans ces lieux se rencontrent garçons et filles, se côtoient également chrétiens et musulmans, des juristes, des économistes, des sociologues, des gens de sciences politique. En 1991, c’est le début des événements douloureux de l’Algérie avec les élections, le FIS etc et en 1991, l’Eglise a ouvert le CDES Sophia, le Centre de Documentation Economique et Sociale. C’était un pari sur l’avenir énorme d’ouvrir une nouvelle bibliothèque à Oran dans une ancienne église, l’Eglise du Saint-Esprit qui était à l’époque fermée.
2ième étape, ça a été 1994 et alors là on était au cœur des années noires et avec Pierre Claverie, on a décidé d’agrandir le CDES et ça a été la période où nous avons eu le plus de monde. Nous sommes arrivés dans ces années-là à près de 2500 inscrits alors que nous sommes maintenant autour de 1500. Pourquoi ? Parce que toutes les autres bibliothèques étaient fermées à cause des attentats possibles. Donc, nous on est resté ouvert tout le temps et les gens se réfugiaient littéralement dans ce lieu à ce moment-là. En 1994, 95, 96, les gens venaient s’inscrire y compris les salafistes qui venaient s’inscrire chez nous, travaillaient chez nous. Les gens nous disaient souvent « vous êtes une oasis de paix ».
Donc ça a été l’enthousiasme de Pierre Claverie qui nous a toujours poussés, même dans les moments difficiles, à aller de l’avant en nous disant mais si on s’arrête on donne raison à ceux qui veulent nous condamner. Donc, il ne faut pas s’arrêter, il faut vivre ! »
Des prêtres, des religieuses et religieux, des laïcs chrétiens s’engagent dès lors sans difficultés dans ces tâches de promotions humaines et de proximité fraternelle avec la population.
En pensant à l’exemple que nous donnent les bienheureux martyrs d’Algérie d’une Eglise qui réinvente une manière d’être présent, je pense à la période de confinement au cours de laquelle notre Eglise a dû aussi réinventer une manière d’être présent comme le soulignent les évêques de Belgique dans leur message du 25 juin dernier :
Loin de nous immobiliser, ce temps de confinement nous a aussi permis de faire preuve d’une créativité nouvelle. Dans tant de paroisses, d’unités pastorales, de communautés, des baptisés se sont levés, se sont mis ensemble, ont pris des initiatives. Parfois de façon très humble, dans l’urgence, vous avez inventé de nouvelles manières de faire Eglise. Nous avons été touchés par ces gestes de sollicitude, ces services concrets, cette inventivité pastorale. Sans doute avons-nous aussi découvert – ou redécouvert – certaines dimensions que la routine risque parfois de nous faire oublier : l’écoute des autres et de la Parole, la prière personnelle ou familiale, l’importance d’un rythme de vie apaisé pour la réflexion, la relecture, le dialogue. Parallèlement, nous avons ressenti en creux combien nous étaient essentielles la rencontre, l’affection, l’entraide, la communion entre nous et avec Dieu. Nous vous encourageons à demeurer en éveil, à ne pas cesser de rester créatifs. Ensemble, continuons à rendre nos communautés plus belles parce que plus fraternelles, plus sensibles aux blessures de chacun et aux soifs de ce monde. Continuons de soigner nos célébrations pour qu’elles soient sources d’intériorité et d’engagement.
Toujours sur l’importance de réinventer une manière d’être présent, je pense aussi à cette interpellation de l’abbé Louis Lochet qui nous invite à libérer l’imagination pastorale :
L’Eglise ne se construit pas seulement par une sage administration de ce qui existe, mais par une inquiétude, une recherche de ce qui n’existe pas encore. Elle ne se construit pas seulement par les décisions qui viennent de l’autorité, elle se construit aussi par l’action de l’Esprit en chacun de nous, « libérer l’imagination pastorale ».
Il ne faudrait pas que tous les prêtres se trouvent dans les structures qu’il n’y a plus qu’à conserver, mais qu’ils se sentent « partie prenante », avec les laïcs, d’une Eglise en pleine recherche des innovations nécessaires à sa mission, sous l’action de l’Esprit. Le signe de la fidélité à l’Esprit des origines n’est pas la routine qui ferait faire toujours la même chose, mais un renouvellement perpétuel, au service de la même inspiration.
- Les bienheureux martyrs d’Algérie encouragent notre Eglise être une Eglise de la rencontre
La vie des 19 bienheureux était centrée sur la rencontre. Cette rencontre était leur nourriture. L’amour de leur voisins et de leurs proches allait jusqu’à l’amour des ennemis qui n’étaient pas d’ailleurs pour eux des ennemis. Pendant toute la décennie noire pendant laquelle, rappelle Mgr Desfarges, nous avons prié pour les terroristes, au monastère de Tibhirine les moines priaient pour ceux qu’ils appelaient les frères de la montagne (ceux qui avaient pris le maquis dans les montagnes) et ceux qu’ils appelaient les frères de la plaine (les militaires). Un Algérien chrétien confia un jour à Mgr Desfarges qu’une des choses qui l’a conduit vers la foi chrétienne c’était de voir les chrétiens prier pour ceux qui commettaient des actes de violences à leur égard. Un autre lui confia un jour : « je savais qu’il faut aimer son prochain. On m’a appris cela dans ma religion musulmane mais quand j’ai lu dans un évangile : aimez vos ennemis, j’ai senti mon cœur craquer, s’ouvrir. L’amour n’a pas de limites »
C’est Pierre Claverie qui dit : « La mission de l’Eglise en Algérie est d’établir, de développer et d’enrichir une relation toujours et partout avec tous. Aller au- devant de l’autre, à la rencontre c’est reconnaître que l’autre existe, que j’ai besoin de lui et réciproquement permettre, donner l’occasion à l’autre de découvrir que l’autre existe à travers moi ».
La première des rencontres, n’est-ce pas celle qui se vit dans le quotidien ? Dans le voisinage, le travail, la participation au monde associatif. Pensons à ces lieux où il est possible de travailler ensemble, de confronter pacifiquement nos manières de voir. Cela demande du temps, le temps de l’apprivoisement, le temps de la confiance, le temps de faire sauter les préjugés.
Si nous croyons véritablement que Dieu, en son Fils Jésus-Christ, s’est donné, s’est révélé, a parlé, qu’Il s’est mis en relation avec la réalité humaine avec la réalité du monde, c’est qu’Il appelle son Eglise à faire la même chose.
Paul VI dans son encyclique « Ecclesiam suam » dit l’Eglise se fait conversation avec le monde c’est ça sa nature, c’est ça sa vocation elle est appelée à se faire conversation c’est-à-dire à se mettre en dialogue et c’est ça qui définit la réalité chrétienne.
Dans l’évangile des disciples d’Emmaüs, nous découvrons la manière avec laquelle Jésus se fait conversation, Jésus se met en dialogue permettant ainsi la rencontre.
Jésus commence par les écouter en leur posant cette question : « de quoi discutiez-vous en chemin ? » ce qui permet aux disciples de vider leur sac, d’exprimer leur désarroi, leurs questions et à Jésus de sonder en profondeur l’amertume qui les a gagnés. C’est seulement après les avoir écoutés que Jésus ouvre leurs cœurs à l’Ecriture. Annoncer l’évangile, ce n’est pas d’abord prendre la parole, c’est d’abord écouter : « De quoi discutiez-vous en marchant, qu’est-ce que vous vivez, qu’est-ce que vous portez dans le cœur, quelles sont vos angoisses, quelles sont vos joies, quelles sont vos souffrances, quelles sont vos espérances ? »
C’est parce qu’il marchait sur la route que Jésus a pu rencontrer les disciples tout tristes et qu’il a pu les rejoindre. L’Eglise est appelée, elle aussi, à marcher sur la route car c’est là, sur la route de la vie, qu’elle peut rencontrer les personnes, se mettre à l’écoute de leurs espérances et leurs déceptions parfois lourdes et dialoguer avec elles.
C’est Pierre Claverie qui dit : « Le maître mot de ma foi est aujourd’hui le dialogue ; non par tactique ou par opportunisme, mais parce que le dialogue est constitutif de la relation de Dieu aux hommes et des hommes entre eux ». Les proches de Pierre Claverie se rappellent que celui-ci avait en horreur le dialogue superficiel, de convenance. Le vrai dialogue, à ses yeux, est exigeant, il suppose de reconnaître l’altérité de l’autre et de vouloir s’enrichir de nos différences.
La passion de la vie de Pierre Claverie a été de découvrir ce que son prochain algérien musulman pouvait lui apprendre, y compris dans la recherche de Dieu. Sans syncrétisme, sans unanimisme facile. Le Père Thierry Becker, qui fut Vicaire Général de Pierre Claverie raconte que Pierre Claverie aimait bien inviter des gens à sa table, les gens les plus divers, les gens avec des opinions les plus diverses car il aimait bien entrechoquer sa pensée avec celle des autres.
Si Pierre Claverie a œuvré sans cesse pour mettre en relation les personnes les plus diverses et il s’est lui-même beaucoup investi dans la découverte des autres, dans la rencontre et le dialogue, c’est parce qu’il a fait cette expérience d’être immergé dans un monde différent.
C’est lui qui dit : « C’est une expérience que je souhaite à beaucoup. Un jour de se retrouver hors de chez soi. Cela ne veut pas dire nécessairement hors de son pays mais en tout cas hors de son univers familier, de sa bulle et d’être plongé dans un monde totalement différent et dans ce monde-là d’éprouver la condition d’étranger. A ce moment-là, on en vient à regarder différemment les étrangers aussi »
A de nombreuses reprises et notamment lors des retraites qu’il prêcha, Pierre Claverie partage son expérience de la rencontre car il souhaite que, nous aussi, nous puissions vivre de belles rencontres en profondeur.
Pour nous y aider, il nous partage ce qui fait, selon lui, que des rencontres réussissent ou qu’elles ratent.
Les rencontres ratent quand je réduis l’autre, quand je l’écarte ou je l’assimile pour éviter qu’il soit autre et atténuer ainsi la différence. Une certaine suffisance rend impossible toute rencontre, tout respect car une telle attitude tend à assujettir l’autre au lieu de le reconnaitre et de l’accueillir.
Par contre, les rencontres réussissent lorsqu’elles sont empreintes de respect : Quand je laisse l’autre exprimer ses convictions, quand je le laisse être.
C’est Congar qui dit : « Les autres sont aussi des sujets, des centres autonomes et originaux. Or nous tendons toujours en vertu de l’esprit possessif qui nous habite, à nous considérer pratiquement comme étant seuls de tels sujets, et à traiter les autres en objets voués simplement à recevoir les retombées de nos fusées ou à servir de cadre et de décor à la scène que nous jouons ».
La vérité nous la cherchons ! Peut-être ai-je davantage approché la vérité que lui, mais même si j’en suis convaincu parce que j’ai fait des recherches plus poussées, parce que c’est mon domaine, parce que c’est ma spécialité, d’abord j’accepte, même provisoirement, l’idée qu’il puisse aussi avoir des raisons valables de croire ce qu’il croit, de dire ce qu’il dit. Après nous discuterons, avant de dire « je sais » ou « j’en sais plus que vous ».
L’autre a des raisons, à certains égards valables, de voir les choses autrement que moi. Cela revient tout simplement à reconnaître que l’autre a le droit d’être autre, c’est-à-dire lui-même, pas moi.
Cardinal De Kesel lors d’une assemblée du Vicariat du Brabant wallon a beaucoup insisté, lui aussi, sur l’importance de la rencontre dans notre mission.
Il y a disait-il, le noyau de l’Eglise mais il y en a beaucoup qui viennent chez nous pour demander et c’est toujours quelque chose de beau, de très humain de rencontrer quelqu’un. La rencontre est toujours gratuite.
On n’a rien à imposer, on veut simplement accueillir les personnes, simplement les rencontrer, aller à leur rencontre sans arrière-pensées pas par prosélytisme, pas pour en faire des disciples simplement par respect pour la personne qui vient me voir. Nous avons besoin de ce respect. Nous vivons dans une société pluraliste mais il faut toujours respecter l’autre. Malheureux
Pour le pape François l’Eglise ne grandit pas par prosélytisme en essayant de rencontrer l’autre comme des clients possibles. L’Eglise grandit par attraction. L’évangile nous invite toujours à courir le risque de la rencontre avec le visage de l’autre, avec sa présence physique qui interpelle, avec sa souffrance, sa joie. C’est déjà là, dans la qualité humaine de cette rencontre, dans cet intérêt désintéressé que l’évangile s’annonce. Le Seigneur nous précède dans l’autre. A proprement parler notre mission n’est pas d’apporter à l’autre la présence du Christ mais de la lui révéler au plus intime de lui-même. C’est ainsi que Christian de Chergé ne serait jamais devenu moine s’il n’avait pas rencontré un musulman croyant.
Beaucoup d’occasions nous sont données d’être une Eglise à l’écoute de ceux qu’elle rencontre. En pensant à ceux qui viennent très ponctuellement à l’Eglise, le Cardinal De Kesel nous dit ceci : Je vous demande de ne plus jamais dire « A quoi ça sert de toute façon après on ne les voit plus… Ce n’est pas notre affaire, ils sont dans les mains de Dieu. Le sens de notre rencontre ne dépend pas du résultat qu’on peut avoir. Ne le dite plus jamais. Ce que nous pouvons faire, c’est les rencontrer, les accueillir, parler avec eux, écouter pour qu’ils puissent dire ce qu’ils ont sur le cœur. Parfois pour eux, c’est la seule occasion. Chaque rencontre est un moment de grâce.
A Rabat, lors de sa visite au Maroc, le Pape François a également parlé de l’importance de la rencontre désintéressée : « Affirmer que l’Eglise doit entrer en dialogue ne relève pas d’une mode, encore moins d’une stratégie pour accroître le nombre de ses membres. Non ce n’est pas une stratégie. Si l’Eglise doit entrer en dialogue, c’est par fidélité à son Seigneur et maître qui, depuis le commencement, mû par l’amour, a voulu entrer en dialogue comme un ami et nous inviter à participer à son amitié (Vatican II, Dei Verbum) »
Le Seigneur a nous choisis, car il a besoin de nous pour dire son amitié, son amour à tous. Les 19 bienheureux nous indiquent que le chemin de cette participation à la mission du Christ c’est d’entrer de rencontrer l’humanité pour entrer en dialogue avec elle.
- Les bienheureux martyrs d’Algérie nous enseignent ce qu’est une Eglise hôte.
Dans l’évangile des disciples d’Emmaüs, Jésus se fait inviter par ceux-ci : reste avec nous. Jésus est leur hôte. Cette invitation faite à Jésus de rester me fait penser à cette similaire invitation à rester qu’un musulman, voisin du monastère de Tibhirine, adressa aux moines.
Cette communauté monastique était dans une période de discernement assez difficile, sur la possibilité de quitter ce Monastère et de partir ailleurs, à un endroit où ils ne seraient pas menacés, comme leurs voisins musulmans, par la violence qui sévissait le pays.
“Nous sommes comme les oiseaux sur la branche”, dit un jour Christian de Chergé à ce voisin. Et lui de répondre : “Non, la branche, c’est vous. Si vous partez, nous ne saurons pas où poser nos pattes”.
Cette réflexion montre bien que si les moines choisissaient de partir, les voisins se sentiraient abandonnés. Pour eux, le Monastère était le point de référence de leur stabilité. Ils sentaient que les moines, dans leur vie quotidienne, les accompagnaient et les gardaient. : Ainsi, se savaient-ils protégés.
Christian de Chergé raconte également qu’un jour un autre voisin lui dit : “ Tu sais, chaque matin, quand je passe pour aller au travail, je regarde le Monastère, et, en voyant la lumière, je me dit: Handul illah! ( Dieu merci!)
Il faut dire que peu de temps avant, près de cet endroit, on avait assassiné des travailleurs croates et les moines avaient reçu la” visite” violente dans la nuit de Noël d’un groupe armé et menaçant. Ce qui fait que les voisins se sentaient inquiets, vivant dans la même atmosphère de crainte et de violence.
Depuis l’indépendance de l’Algérie, le 5 juillet 1962, l’Eglise d’Algérie se sait et se vit hôte d’un pays dont les habitants sont presque tous musulmans.
Le même mot « hôte » désigne à la fois la personne qui accueille et celle qui est accueilli nous signifiant ainsi qu’il n’y a d’hospitalité que réciproque. Cela signifie que celui qui accueille est, en quelque sorte, accueilli par celui qu’il accueille. L’hospitalité est un acte de confiance qui engage car bien souvent je ne connais pas à l’avance celui que j’accueille et l’accueil ne se limite pas à une appartenance tribale, sociale ou nationale.
L’essentiel de notre mission souligne l’actuel archevêque d’Alger, Mgr Desfarges, est d’être accueilli en accueillant l’autre dans notre cœur et notre vie. Nous sommes sensibles en Algérie à la chaleur de l’accueil. Cependant il me semble que l’Evangile à la suite de Jésus, nous invite, encouragés par nos bienheureux, à vivre l’accueil jusqu’au dessaisissement de soi.
Accueillir l’autre c’est se rendre totalement présent à sa présence. J’accepte qu’il se sente chez lui chez moi, heureux de me sentir chez moi chez lui. L’évangile nous dit d’ailleurs que quand nous accueillons l’autre tout particulièrement le plus petit, le plus fragile, le plus lointain, le plus rejeté, c’est Jésus lui-même que j’accueille et qui dans le même temps m’accueille lui-même.
Être hôte, souligne également Bernard Janicot, c’est être dans une situation particulière et parfois ambigüe en ce sens qu’un hôte on est généralement heureux de l’accueillir, on lui fait une place et on s’arrange pour qu’il ne manque de rien. En plus, dans la culture arabe, être hôte ce n’est pas rien ; un proverbe arabe dit que l’hôte est l’invité mandaté par Dieu. Il est celui qui est envoyé par Dieu pour permettre à la famille qui le reçoit de vivre la générosité, l’ouverture voulue par Dieu.
Toutefois, être hôte, c’est aussi être dans une situation de fragilité, d’instabilité, de provisoire, même si celle-ci peut durer longtemps.
Il faut dire qu’il y a parfois de ces hôtes qui s’imposent un peu et dont on souhaite, sans trop leur faire sentir, qu’ils ne restent pas trop longtemps parce que leur présence peut finir par gêner, par poser des problèmes. La présence d’un hôte, par essence différent de soi, perturbe les habitudes, empêche de vivre « l’entre soi » dans lequel on se sent bien, le petit « train-train » que l’on critique volontiers chez les autres, mais auquel on aspire tous secrètement un peu qu’il s’agisse de nos familles ou de la société.
Un hôte, surtout quand il est présent depuis longtemps, quand il commence à se sentir « de la famille », se mêle parfois des affaires de la maison, met le doigt là où ça fait mal, observe d’un peu trop près de situation qu’on n’a pas nécessairement envie de mettre sur la place publique. De temps à autre, il peut même lui venir l’idée de parler à l’extérieur de ce qu’il sait, de ce qu’il voit, de ce qu’il devine au sein de la famille. Ce qui peut arriver aussi, c’est que des membres de la famille se reconnaissent dans ce que fait, vit et pense l’hôte…Alors les traditions ancestrales peuvent être remise en cause au nom de ce que vit l’hôte. Il peut même survenir des « conversions » à la pensée, à la religion de l’hôte.
C’est alors qu’une fêlure, une fissure se créée au sein de la famille, et alors la tentation peut être alors grande de chercher à reconstruire ce qui apparait comme l’unité perdue même si celle-ci est largement mythique. Ceux de la famille qui ont pris le parti de l’hôte risquent de se trouver en difficulté, marginalisés, voire exclus.
L’Eglise d’Algérie, souligne Bernard Janicot, relève d’un peu tout cela à la fois. Mais finalement, ajoute-t-il aussitôt, n’est-ce pas partout dans le monde que l’Eglise est appelée à être « hôte » d’un peuple, n’est-ce pas une facette, une dimension non exclusive, bien entendu, mais tout de même essentielle, de l’Eglise de Jésus-Christ, et ceci partout où elle se trouve ?
En venant demeurer parmi nous, en venant chez nous, Jésus-Christ s’est fait notre hôte, c’est tout le sens de l’incarnation. Et Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. Ce qui veut dire aussi que, quelque part, il n’était pas tout à fait chez lui. « Je retourne chez mon Père », dira Jésus à ses disciples peu avant sa mort.
Pendant trente ans, Jésus est devenu l’hôte de celles et ceux qui veulent bien le recevoir, lui et les disciples qui l’accompagnent. Ce petit groupe, comme nous le montre l’évangile, pouvait être bien ou mal accueilli selon les temps et les lieux.
Jésus a voulu se faire notre hôte, habiter parmi nous, être complètement des nôtres, mais sa présence se révéla vite assez gênante. Embarrassante pour les notables juifs, scribes et pharisiens, tant sa vie et ses paroles exprimaient une différence avec la leur. Embarrassante pour le pouvoir des grands prêtres qui se demandaient pour qui, pour quoi se prend-il, ce paysan galiléen qui vient leur faire la leçon ?
En parlant du monde, Jésus dit dans l’évangile de Jean (15, 18-19), que si le monde a de la haine contre nous, il faut savoir qu’il en a eu d’abord pour lui et que si nous appartenions au monde, le monde nous aimerait car nous serions à lui. Mais, ajoute Jésus, vous n’appartenez pas au monde, puisque je vous ai choisi en vous prenant dans le monde ; voilà pourquoi le ponde a de la haine contre vous »
En nous disant cela, il ne s’agit pas pour l’Eglise que nous sommes de tomber dans cet écueil qui consiste à refuser le monde dans lequel Dieu nous appelle à vivre, à exister en considérant ce monde comme foncièrement mauvais. Ce n’est bien évidemment pas cela que Jésus veut dire. Comme le dit si justement Pierre-Marie Delfieux, le fondateur des Fraternités monastiques de Jérusalem, avant d’être fui ou méprisé, ce monde doit être aimé.
Dans cet appel de Jésus à ne pas appartenir au monde, il y a un appel à garder une certaine distance, un certain jugement critique, à ne pas nous laisser assimiler par le monde et ses modes successives, à ne pas nous dissoudre dans les manières de peser des époques successives : « Si le sel s’affadit, avec quoi salera-t-on le monde ? »
Si les chrétiens sont d’abord et avant tout des citoyens engagés dans le monde, ils ne vivent pas dans une bulle différente du reste des hommes. Ils partagent les mêmes soucis, les mêmes épreuves, les mêmes engagements. Mais en même temps, le chrétien dérange s’il reste fidèle à l’Evangile. Il est souvent comme une « épine », dans la mesure même où il est signe d’un monde différent, autre, dans lequel il est préférable d’être un artisan de paix, plutôt que de chercher vengeance, dans lequel une certaine simplicité de vie est préférable à la recherche de la richesse par tous les moyens, où une certaine faiblesse est meilleure que l’emploi de la force, dans lequel il est plus important de capitaliser des relations humaines, et de l’amour, plutôt que de l’argent ou des conquêtes sexuelles…
Pour le chrétien, pour l’Eglise, pourquoi vouloir être importants, être riches et célèbres, alors que l’on se sait être quelqu’un aux yeux de Dieu.
C’est en ce sens seulement que l’Eglise est et sera toujours « hôte » d’un monde dans lequel elle est appelée à vivre pleinement, mais sans jamais y appartenir complètement.
Tout en participant pleinement à la vie de ce monde, à ses interrogations, à ses recherches de sens, à ses émotions, à ses espérances, à ses doutes, l’Eglise n’a-t-elle pas aussi à conserver une certaine « distance critique », un certain « regard » qui lui vient d’un Autre qu’elle-même et qui lui interdit de s’engluer dans les idéologies, les modes de pensées, les recettes à la mode…
Partout, où elle se trouve, l’Eglise se doit d’accueillir chaque peuple dans sa réflexion, dans sa prière. Mais, elle se doit aussi de porter le trésor qu’elle porte en elle, même si parfois elle le conserve mal. C’est vrai que la Parole que l’Eglise porte et qu’elle doit annoncer peut-être dérangeante, peut être refusée, peut mettre l’autre mal à l’aise. Dire des paroles de justice, cela ne plaît pas à tout le monde ; dire des paroles de paix, de pardon, de miséricorde, ce n’est pas toujours si facile, nous le savons bien, dire Jésus-Christ mort et ressuscité au bout d’une vie donnée par amour, cela peut énerver certains, en faire sourire d’autres. Nous sommes dans le monde, nous ne sommes pas du monde. L’Eglise ne sera jamais le monde. L’Eglise vit dans un monde plus vaste qu’elle.
Nous ne sommes pas tout et nous ne devons pas conquérir tout mais dans le monde être signe visible et efficace de l’Amour de Dieu non seulement pour l’Eglise mais pour le monde.
Les bienheureux martyrs d’Algérie encouragent l’Eglise à donner sa vie par amour.
L’Eglise, c’est sa vocation, est servante du don de Dieu à l’humanité. Elle donne la vie en donnant sa vie et dans le don de nos vies. Il faut bien que le monde sache que nous aimons le Père e que le Père l’aime dans et à travers l’amour de ses enfants. C’est la vocation de l’Eglise.
Donner sa vie, par amour, dans le quotidien, est le chemin sur lequel nous sommes entraînés par nos dix-neuf bienheureux. Le Seigneur nous appelle à nous associer au don de son amour pour tous les peuples de la terre. L’Eglise est associée à la mission du Christ qui est de signifier le don de l’Amour de Dieu qui veut rejoindre tous les hommes. Dans le Christ, Dieu est venu, Dieu vient donner sa vie, la partager avec ses créatures. Le disciple par le Christ, avec Lui et en Lui, va à la rencontre de tous entre en dialogue avec tous. « Celui qui vous accueille m’accueille et accueille celui qui m’a envoyé »
A plusieurs reprises, Pierre Claverie s’élève contre la tentation pour l’Eglise d’être seulement une multinationale de la charité, une organisation de bienfaisance qui « fait du bien » mais recule devant le témoignage suprême, qui est de donner sa vie par amour.
« Le martyre au sens originel est le témoignage du plus grand amour. Ce n’est pas courir à la mort ou chercher la souffrance pour la souffrance ou se créer des souffrances…C’est assumer les difficultés de la vie, assumer les conséquences de ses engagements. »
« Le martyre blanc, c’est ce qu’on essaie de vivre chaque jour, c’est-à-dire ce don de sa vie goutte à goutte dans un regard, une présence un sourire, une attention, un service, un travail, dans toutes ces choses qui font qu’un peu de la vie qui nous habite soit partagée, donnée, livrée. C’est là que la disponibilité et l’abandon tiennent lieu de martyre, d’immolation. Ne pas retenir sa vie. »
Le père Raphaël Deillon, missionnaire d’Afrique, nous partagea lors d’une eucharistie célébrée à la basilique Notre Dame d’Alger un moment fort qu’il vécut avec Mgr Claverie et les autres évêques d’Algérie lors de son ministère en Algérie :
« Dans un contexte de très grande confusion et de peur provoquée par des assassinats aveugles, une réunion des responsables de congrégations religieuses présentes en Algérie s’est faite à Rome.
C’était un dimanche de janvier 1995. Devant un parterre d’une quarantaine de supérieurs et supérieures religieux, les évêques d’Algérie durent s’expliquer sur « le banc des accusés »…
J’avais accompagné les évêques jusqu’à Rome pour prendre quelque temps de repos après tant d’émotions et de fatigue puisque nous venions nous-mêmes de nous faire attaquer à Ghardaïa et que nous avions échappé à une mort certaine … J’aime à rappeler le témoignage de la façon dont nos évêques ont pris la défense de l’Église en Algérie et de nos amis algériens car ce témoignage m’a fait honneur et chaud au cœur.
Je vous situe d’abord la scène : nous étions dans cette salle de la maison généralice des Pères Blancs ; une bonne cinquantaine de personnes en tout. L’ambiance était lourde et les questions chargées de beaucoup d’animosité, d’incompréhension et d’amertume après les douloureuses pertes de nos frères et sœurs. Le Supérieur général des Pères Blancs s’est levé et avec un ton solennel a demandé aux évêques de bien vouloir exprimer leur « Credo ».
Les évêques se sont concertés et ont désigné amicalement le plus jeune d’entre eux : Mgr Claverie. En regardant ses auditeurs dans les yeux, voici ce qu’il a dit :
« L’Église n’est pas une organisation internationale, ni une multinationale qui s’implante quelque part et qui retire son personnel quand ça ne va plus. C’est le lieu d’une Alliance passée entre le Dieu de Jésus-Christ et une humanité particulière. Les Chrétiens qui sont là, sont présents pour entrer dans cette Alliance. Quoi qu’ils fassent, ils sont là pour cette Alliance d’Amour avec cette humanité particulière. En entrant dans cette Alliance, chaque personne sait qu’elle devra y rester fidèle pour le meilleur et pour le pire. Quand on nous dit: « L’Algérie ne veut pas de vous ! », ce n’est pas vrai ! Il y a, certes, des Algériens qui ne veulent pas de nous. Mais tous les autres, les 4000 qui pleuraient à Tizi-Ouzou leurs quatre Pères Blancs assassinés, les amis qui pleuraient à l’aéroport d’Oran le départ des Sœurs… Et tous les boiteux, les bossus, les aveugles, venus voir les Pères à Ghardaïa après qu’ils aient été attaqués ! Jésus s’est placé sur des lieux de fracture, là où c’était cassé, où il y avait une tension et il en est mort !
Si nous, Chrétiens, ne sommes pas présents sur ces lieux de fracture, eh ! bien, on n’est plus chrétiens. Fracture entre le Nord et le Sud, fracture entre les riches et les pauvres… Ce ne sont pas uniquement des vérités à chanter dans la liturgie, il faut les vivre !
L’Algérie aujourd’hui est brisée en deux. Pour nos 8 religieux tués (Il y en aura 11 de plus un an après et Mgr Claverie sera le 19e chrétien assassiné avec son chauffeur le 1er août 1996), il y a des dizaines de milliers de pères de famille, de jeunes, garçons et filles algériens qui sont morts, et nous, nous allons partir et rompre cette Alliance ?! On n’a plus rien à donner, mais il y a encore nos vies ! »
Le Supérieur des Pères Blancs, s’est levé, a fait une sorte de révérence qui voulait dire: cette fois je comprends et je sympathise. La salle tout entière, restée muette pendant le « Credo » de Pierre Claverie, a senti passer un souffle d’amitié et de solidarité fraternelle qui a gagné tous les cœurs. L’ambiance tout à coup s’est détendue. On comprenait. On était d’accord, on applaudissait.
Et moi, j’étais fier d’appartenir à cette Église qui acceptait de continuer la Mission qu’elle avait reçue de Dieu et de la continuer coûte que coûte.
Et j’étais fier de nos évêques !
Plus tard, ajouta le Père Raphaël, Mgr Claverie déclarera dans une interview : « Notre départ comme Église ne résoudrait aucun problème. Au contraire, il signifierait que nous acceptons le fait qu’il est impossible de s’entendre entre croyants de différentes confessions alors qu’il y a de magnifiques témoignages qui prouvent que c’est possible ».
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