Vis le jour d’aujourd’hui Auteur : Sœur Odette Prévost |
Vis le jour d’aujourd’hui, Dieu te le donne, il est à toi. Vis le en Lui. Le jour de demain est à Dieu Il ne t’appartient pas. Ne porte pas sur demain le souci d’aujourd’hui. Demain est à Dieu, remets le lui. Le moment présent est une frêle passerelle. Si tu le charges des regrets d’hier, de l’inquiétude de demain, la passerelle cède et tu perds pied. Le passé ? Dieu le pardonne. L’avenir ? Dieu le donne. Vis le jour d’aujourd’hui en communion avec Lui. Et s’il y a lieu de t’inquiéter pour un être aimé, regarde-le dans la lumière du Christ ressuscité. Soeur Odette Prévost petite soeur de Charles de Foucault assassinée en Algérie le 10 novembre 1995 |
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Vendredi 17 juillet : L’Eucharistie
L’histoire du pain eucharistique est appelée à devenir la nôtre
Comme le souligne Saint Augustin, d’ordinaire, la nourriture que nous mangeons devient notre force, notre chair et notre sang. Ce que je mange devient « moi ». Au contraire quand je mange Jésus, « le pain vivant descendu du ciel », je deviens « Lui » Vous connaissez peut-être ce chant magnifique « Devenez ce que vous recevez », dont les paroles viennent de saint Augustin. En recevant le Corps du Christ, nous devenons chacun et tous ensemble, le Corps du Christ et les membres de son Corps. Nous devenons « ce que nous recevons ».
J’aime bien cette réflexion d’un évêque qui dit que ce n’est pas une bonne habitude d’utiliser le mot « pratiquant » pour désigner ceux qui participent régulièrement à l’eucharistie. Ce mot convient bien pour le football ou le vélo, mais il doit être corrigé pour évoquer la prière, les sacrements et toutes les pratiques chrétiennes. Il faut que ce participe présent devienne un participe passé. En réalité, nous ne sommes pas pratiquants mais pratiqués. Dans l’Eucharistie, c’est Dieu qui nous « pratique », nous transforme et nous transfigure !
Par sa Parole, Jésus est comme un boulanger qui pétrit sa pâte. C’est Jésus qui nous « pratique », nous malaxe et nous transforme par sa parole et par ce « pain vivant descendu du ciel » (Jn 6, 51) Nous nous remettons entre ses mains, pour le laisser faire de nous aussi « un bon pain » Mais par l’eucharistie Jésus va encore plus loin : Il nous fait devenir ce qu’il est. L’histoire du pain est donc notre histoire.
Voyons de plus près l’histoire du pain de l’eucharistie puisque son histoire est appelée à être la nôtre :
Être pain déposé
Dans la célébration de l’eucharistie, le pain est déposé sur une patène. La patène (du latin patena, plat, dérivant lui-même du grec patani, écuelle), est une petite assiette sur laquelle repose le pain qui va être consacré lors de la messe.
Dans une de ses lettres pastorales, Mgr Paul Desfarges, archevêque d’Alger faisant référence à Marie qui à Noël déposa Jésus dans une mangeoire, dit que notre Eglise est dans la mangeoire. Nous sommes l’Eglise de la mangeoire (Là où je suis, vous y serez aussi). L’Esprit et Marie nous déposent et nous disposent, faisant de nos vies des vies livrées par amour. La mangeoire évoque déjà la patène.
L’Eglise comme son Seigneur est totalement à la disposition de ceux auxquels elle est envoyée, donnée. Dès la crèche, Jésus est abandonné, offert. L’abandon n’est en rien une passivité inerte. L’abandon est un « oui » actif et dynamique. Nos « Oui » permettent à Dieu s’agir en nous, par nous et avec nous.
Au moment où le pain déposé sur la patène est présenté à Dieu pour lui être offert, nous pouvons nous offrir par ce pain, avec ce pain et en ce pain comme l’exprime la prière de Sainte Thérèse Couderc : « Mon Dieu, je veux être toute à vous, daignez accepter mon offrande ».
Être pain sanctifié
Lors de l’eucharistie c’est sur ce pain présenté à Dieu pour lui être offert qu’est invoqué l’Esprit Saint pour qu’il devienne le pain de la vie non pas temporairement mais éternellement. Sur nous aussi, l’Esprit Saint est invoqué pour que nous devenions une éternelle offrande : Que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire.
Être pain rompu pour être offert à tous
C’est ce pain devenu corps du Christ qui est rompu pour être donné. L’Eucharistie fait ainsi de notre Eglise, de chacune et chacun de nous un signe de la présence livrée du Christ pour signifier le don de l’Amour de Dieu qui veut rejoindre tous les hommes.
L’Eucharistie fait de nous un « Pain rompu », elle fait du peuple de Dieu un peuple pour les autres de trois manières :
1. L’Eucharistie fait de nous un peuple de témoins : témoins de l’amour de Dieu qu’ils ont reçu et qu’ils communiquent autour d’eux là où ils vivent. Annoncer la Bonne Nouvelle c’est rendre palpable pour tous cette puissance de l’amour qui libère et fait grandir par une attention humble et chaleureuse à chacun, par une présence discrète et confiante qui fait exister ceux qu’elle accueille.
L’Eglise est appelée à rendre contagieuse cette manière d’exister qu’elle a découverte dans le Christ avec un grand respect des consciences et des libertés car rien au monde ne peut faire naître l’amour que l’amour, ni la persuasion, ni l’autorité, ni les obligations imposées, rien ne peut forcer l’homme à aimer que la reconnaissance d’un autre amour humble et respectueux.
2. L’Eucharistie fait de nous un peuple de veilleurs qui apportent une espérance en distinguant les lumières de l’avenir et en les désignant aux découragés pour qu’ils reprennent espoir et aux puissants pour qu’ils les soutiennent.
3. L’Eucharistie fait de nous des frères universels car elle nous rend solidaire de toute l’humanité. Nous sommes appelés à concrétiser autour de nous ce que nous recevons dans le sacrement. « Le pain partagé nous convertit en homme de partage » Et c’est ainsi que nous pouvons devenir force de transformation du monde. Nourris de ce pain, nous ne pouvons être rassasiés aussi longtemps que des hommes sont affamés : affamés de pain et affamés de dignité, de justice, d’amour, de tout ce qui l’homme humain. L’Eucharistie nous engage à rompre le pain avec tout homme dans le besoin.
N’oublions pas que l’Eucharistie est le repas pascal le repas de la libération de l’Exode, de la libération de l’esclavage, et Jésus nous libère, par sa Pâque, de l’esclavage du péché et de la mort. L’Eucharistie nous engage dans la libération de nos frères, une libération extérieure et une libération intérieure. Enfin la réconciliation et l’amour qui nous sont proposés sont à communiquer aux hommes dans un engagement quotidien et concret pour que le Règne de Dieu devienne la réalité.
Pour nous encourager à faire fraternité, nous avons un autre bienheureux comme modèle, le bienheureux Charles de Foucauld que l’on a appelé le frère universel. Il désirait vivre de telle façon que toute personne puisse le considérer comme son frère. Voilà un beau programme pour chacun. Pendant la décennie noire, les moines de Tibhirine commençaient à faire fraternité dans leur cœur et leur prière. Les gens des groupes armés, ils les appelaient « nos frères de la montagne », ceux des forces militaires, de police ou de sécurité, ils les appelaient « nos frères de la plaine ». Et nous comment nommons-nous, dans nos prières, dans nos échanges ceux qui nous ont fait du mal ?
Pour nous stimuler à faire fraternité, il est bon de nous rappeler que nous sommes tous « de Dieu ». Nous sommes tous fils et filles bien aimés du même Père. Saint Paul dit que « le Christ est l’aîné d’une multitude de frères » (Rm 8, 29). Par son incarnation, il entre en communion avec tout homme.
Le bienheureux Christian de Chergé a eu cette heureuse formule : « Et le Verbe s’est fait frère ».
La fraternité universelle nous est donnée par Dieu en Jésus-Christ. Elle est aussi à accomplir et pour cela, le Christ a besoin de nous. Comme dans une famille, je reçois mes frères et sœurs et il me reste à faire fraternité avec eux.
Être pain donné pour la multitude
La communion au Corps du Christ ne s’arrête pas à l’Assemblée que nous formons. Si nous formons vraiment le Corps du Christ, si nous sommes personnellement unis au Christ ressuscité, nous sommes engagés à donner notre vie pour la multitude. L’Eucharistie fait de nous un pain donné pour le monde.
Dans l’homélie qu’il fit le jeudi Saint 1994, Christian de Chergé a eu ces paroles très fortes :
Nous vivons un temps où la foi n’exclut pas le doute, le questionnement. Il y a aussi assez souvent dans des actes quelque chose qui nous déroute et nous heurte aujourd’hui : la dureté des témoins de la foi vis-à-vis de leurs juges, leur conscience d’être « purs », cette certitude exprimée que leur persécuteur ira droit en enfer. Intégrisme déjà, ou du moins on serait tenté de le croire.
Ici, à l’heure venue de son passage vers dans la foi vers le Père, Jésus « purifie », en effet…mais par l’amour. A qui n’est pas « pur » il dit encore « Ami ! »
Il aura fallu attendre le XXième siècle finissant pour voir l’Eglise reconnaître le titre de martyre à un témoignage moins de foi que de charité suprême : Maximilien Kolbe, martyr de la charité…Pourtant c’est écrit, et nous venons de l’entendre à nouveau : Ayant aimé les siens, il les aima tous, jusqu’à la fin, jusqu’à l’extrême…., l’extrême de lui-même, l’extrême de l’autre, l’extrême de l’homme, de tout homme même de cet homme-là qui, tout à l’heure, va sortir dans la nuit après avoir reçu la bouchée de pain, les pieds encore tout frais d’avoir été lavés. Quelques versets après notre récit, Jean rappelle le psaume 40 : L’ami sur qui je comptais, et qui partageait mon pain, a levé le talon contre moi ! ce talon qui vient tout juste d’être lavé, le voici donc qui se lève. L’amour a baigné les pieds des futurs missionnaires, et aussi, d’un même cœur, ces pieds qui maintenant vont faire le chemin à rebours, celui de la trahison, de la complicité dans le meurtre. Le témoignage de Jésus jusqu’à la mort, son « martyre » est martyre d’amour, de l’amour pour l’homme, pour tous ls hommes, même pour les voleurs, même pour les assassins et les bourreaux, ceux qui agissent dans les ténèbres, prêts à vous traiter en animal de boucherie ou à vous torture à mort parce que l’un des vôtres est devenu l’un des « leurs ». Pourtant il avait prévenu : Si vous n’aimez que vos amis, que faites-vous là d’extraordinaire ? Même les païens en font autant ! Pour lui, amis et ennemis se reçoivent d’un même Père : Vous êtes tous frères ! Ce que le martyre d’amour inclut le pardon. C’est là le don parfait, celui que Dieu fait sans réserve. Si bien que laver les pieds, partager le pain, donner sa mort et pardonner, c’est tout un et c’est pour tous : Pour vous et pour la multitude, en rémission des péchés. Et c’est le lieu de la plus grande liberté parce que c’est là que le choix du Fils coïncide complètement avec le choix d’amour du Père. Alors oui, il peut le dire : Ma vie nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne ! Elle est donnée une fois pour toutes, à Judas comme à Pierre, aux deux larrons à ses côtés comme à Marie-Madeleine et Jean au pied de la croix, comme à sa propre mère. C’est son dernier mot, sa suprême consigne, faire de l’amour de l’homme le test, le critère, la pierre de touche de l’amour de Dieu.
Donner sa vie par amour de Dieu, à l’avance, sans condition, c’est ce que nous avons fait…ou du moins ce que nous avons cru faire. Nous n’avions pas demandé alors ni pourquoi ni comment. Nous nous en remettons à Dieu de l’emploi de ce don, de sa destination jour après jour jusqu’à l’ultime. Hélas, nous avons assez vécu pour savoir qu’il nous est impossible de tout faire par amour, donc de prétendre que notre vie soit un témoignage d’amour, un « martyre » de l’amour. « Le génie c’est d’aimer écrit Jean d’Ormesson, et le christianisme est génial », mais moi je ne le suis pas !
D’expérience, nous savons que les petits gestes coûtent souvent beaucoup, surtout quand il faut les répéter chaque jour. Laver les pieds de ses frères le jeudi saint, passe, mais s’il fallait le faire quotidiennement ? et au tout venant ? Nous avons donné notre cœur en gros à Dieu et cela nous coûte fort qu’Il nous le prenne au détail. Prendre un tablier comme Jésus, cela peut être aussi grave et solennel que le don le la vie…et vice versa, donner sa vie peut être aussi simple que de prendre un tablier. Nous le redire quand les gestes ou les déplacements du quotidien d’amour deviennent lourds de cette menace qu’il faut aussi partager avec tous.
D’expérience, nous savons qu’il est plus facile de donner à celui-ci qu’à celui-là, d’aimer tel frère, telle sœur, plutôt que tel autre, même en communauté. Pourtant la conscience professionnelle du médecin, le serment qu’il a prêté, le conduisent à soigner tous les malades, « même le diable », ajouterait frère Luc. Et notre serment professionnel, à nous, religieux, (notre baptême déjà !), ne nous lie-t-il pas à les aimer tous, « même le diable », si Dieu nous le demandait ? Qu’en faisons-nous ? C’est ce que nous avons voulu dire en refusant de prendre parti ; non pour nous réfugier dans la neutralité qui lave les mains -elle est impossible- , mais pour rester libres de les aimer tous, parce que c’est là notre choix, au nom de Jésus et avec sa grâce. Si j’ai donné ma vie, à tous les Algériens, je l’ai donné aussi à « l’émir » Il ne me la prendra pas, même s’il décide de m’infliger le même traitement qu’à nos amis croates. Pourtant je souhaite vivement qu’il la respecte, au nom de l’amour que Dieu a aussi inscrit dans sa vocation d’homme. Jésus ne pouvait souhaiter la trahison de Judas. L’appelant encore « ami », il s’adresse à l’amour enfoui. Il cherche son Père dans cet homme. Je crois même qu’il la rejoint.
D’expérience, nous savons que ce martyre de la charité n’est pas l’exclusivité des chrétiens. Ce témoignage, nous pouvons le recevoir de n’importe qui, comme un don de l’Esprit. Derrière toutes les victimes que le drame algérien a déjà accumulées, qui peut savoir combien de « martyrs » authentiques d’un amour simple et gratuit ? On pense à cet homme qui l’autre jour a sauvé la vie d’un policier blessé, près de Notre Dame d’Afrique. Peu de jours après, il devait payer ce geste de sa propre vie. Plus haut dans le temps, je ne peux oublier Mohamed qui un jour a protégé ma vie, en exposant la sienne…et qui et mort assassiné par ses frères parce qu’il se refusait à leur livrer ses amis. Il ne voulait pas faire le choix entre les uns et les autres. Ubi caritas…Deus ibi est !
Nous voici ramenés au témoignage de Jésus, à son martyre pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Vous êtes tous mes amis ! Ce témoignage nous l’accueillons avec la conscience que l’esprit est prompt, mais la chair est faible. C’est bien pourquoi il nous laisse sa chair à manger, à assimiler, comme le Pain de notre témoignage.
Homélie du frère Christian de Chergé du jeudi Saint 1994
Nous vivons un temps où la foi n’exclut pas le doute, le questionnement. Il y a aussi assez souvent dans des actes quelque chose qui nous déroute et nous heurte aujourd’hui : la dureté des témoins de la foi vis-à-vis de leurs juges, leur conscience d’être « purs », cette certitude exprimée que leur persécuteur ira droit en enfer. Intégrisme déjà, ou du moins on serait tenté de le croire.
Ici, à l’heure venue de son passage dans la foi vers le Père, Jésus « purifie », en effet…mais par l’amour. A qui n’est pas « pur » il dit encore « Ami ! »
Il aura fallu attendre le XXième siècle finissant pour voir l’Eglise reconnaître le titre de martyre à un témoignage moins de foi que de charité suprême : Maximilien Kolbe, martyr de la charité…Pourtant c’est écrit, et nous venons de l’entendre à nouveau : Ayant aimé les siens, il les aima tous, jusqu’à la fin, jusqu’à l’extrême…., l’extrême de lui-même, l’extrême de l’autre, l’extrême de l’homme, de tout homme, même de cet homme-là qui, tout à l’heure, va sortir dans la nuit après avoir reçu la bouchée de pain, les pieds encore tout frais d’avoir été lavés. Quelques versets après notre récit, Jean rappelle le psaume 40 : L’ami sur qui je comptais, et qui partageait mon pain, a levé le talon contre moi !, ce talon qui vient tout juste d’être lavé, le voici donc qui se lève. L’amour a baigné les pieds des futurs missionnaires, et aussi, d’un même cœur, ces pieds qui maintenant vont faire le chemin à rebours, celui de la trahison, de la complicité dans le meurtre. Le témoignage de Jésus jusqu’à la mort, son « martyre » est martyre d’amour, de l’amour pour l’homme, pour tous les hommes, même pour les voleurs, même pour les assassins et les bourreaux, ceux qui agissent dans les ténèbres, prêts à vous traiter en animal de boucherie ou à vous torture à mort parce que l’un des vôtres est devenu l’un des « leurs ».
Pourtant il avait prévenu : Si vous n’aimez que vos amis, que faites-vous là d’extraordinaire ? Même les païens en font autant ! Pour lui, amis et ennemis se reçoivent d’un même Père : Vous êtes tous frères ! C’est que le martyre d’amour inclut le pardon. C’est là le don parfait, celui que Dieu fait sans réserve. Si bien que laver les pieds, partager le pain, donner sa mort et pardonner, c’est tout un et c’est pour tous : Pour vous et pour la multitude, en rémission des péchés. Et c’est le lieu de la plus grande liberté parce que c’est là que le choix du Fils coïncide complètement avec le choix d’amour du Père. Alors oui, il peut le dire : Ma vie nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne ! Elle est donnée une fois pour toutes, à Judas comme à Pierre, aux deux larrons à ses côtés comme à Marie-Madeleine et Jean au pied de la croix, comme à sa propre mère. C’est son dernier mot, sa suprême consigne, faire de l’amour de l’homme le test, le critère, la pierre de touche de l’amour de Dieu.
Donner sa vie par amour de Dieu, à l’avance, sans condition, c’est ce que nous avons fait…ou du moins ce que nous avons cru faire. Nous n’avions pas demandé alors ni pourquoi ni comment. Nous nous en remettons à Dieu de l’emploi de ce don, de sa destination jour après jour jusqu’à l’ultime. Hélas, nous avons assez vécu pour savoir qu’il nous est impossible de tout faire par amour, donc de prétendre que notre vie soit un témoignage d’amour, un « martyre » de l’amour. « Le génie c’est d’aimer écrit Jean d’Ormesson, et le christianisme est génial », mais moi je ne le suis pas !
D’expérience, nous savons que les petits gestes coûtent souvent beaucoup, surtout quand il faut les répéter chaque jour. Laver les pieds de ses frères le jeudi saint, passe, mais s’il fallait le faire quotidiennement ? et au tout venant ? Nous avons donné notre cœur en gros à Dieu et cela nous coûte fort qu’Il nous le prenne au détail. Prendre un tablier comme Jésus, cela peut être aussi grave et solennel que le don de la vie…et vice versa, donner sa vie peut être aussi simple que de prendre un tablier. Nous le redire quand les gestes ou les déplacements du quotidien d’amour deviennent lourds de cette menace qu’il faut aussi partager avec tous.
D’expérience, nous savons qu’il est plus facile de donner à celui-ci qu’à celui-là, d’aimer tel frère, telle sœur, plutôt que tel autre, même en communauté. Pourtant la conscience professionnelle du médecin, le serment qu’il a prêté, le conduisent à soigner tous les malades, « même le diable », ajouterait frère Luc. Et notre serment professionnel, à nous, religieux, (notre baptême déjà !), ne nous lie-t-il pas à les aimer tous, « même le diable », si Dieu nous le demandait ? Qu’en faisons-nous ? C’est ce que nous avons voulu dire en refusant de prendre parti ; non pour nous réfugier dans la neutralité qui lave les mains -elle est impossible- , mais pour rester libres de les aimer tous, parce que c’est là notre choix, au nom de Jésus et avec sa grâce. Si j’ai donné ma vie, à tous les Algériens, je l’ai donné aussi à « l’émir ». Il ne me la prendra pas, même s’il décide de m’infliger le même traitement qu’à nos amis croates. Pourtant je souhaite vivement qu’il la respecte, au nom de l’amour que Dieu a aussi inscrit dans sa vocation d’homme. Jésus ne pouvait souhaiter la trahison de Judas. L’appelant encore « ami », il s’adresse à l’amour enfoui. Il cherche son Père dans cet homme. Je crois même qu’il la rejoint.
D’expérience, nous savons que ce martyre de la charité n’est pas l’exclusivité des chrétiens. Ce témoignage, nous pouvons le recevoir de n’importe qui, comme un don de l’Esprit. Derrière toutes les victimes que le drame algérien a déjà accumulées, qui peut savoir combien sont des « martyrs » authentiques d’un amour simple et gratuit ? On pense à cet homme qui l’autre jour a sauvé la vie d’un policier blessé, près de Notre Dame d’Afrique. Peu de jours après, il devait payer ce geste de sa propre vie. Plus haut dans le temps, je ne peux oublier Mohamed qui un jour a protégé ma vie, en exposant la sienne…et qui et mort assassiné par ses frères parce qu’il se refusait à leur livrer ses amis. Il ne voulait pas faire le choix entre les uns et les autres. Ubi caritas…Deus ibi est !
Nous voici ramenés au témoignage de Jésus, à son martyre : Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Vous êtes tous mes amis ! Ce témoignage nous l’accueillons avec la conscience que l’esprit est prompt, mais la chair est faible. C’est bien pourquoi il nous laisse sa chair à manger, à assimiler, comme le Pain de notre témoignage.
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